La Compagnie Littéraire : Nous préparons actuellement la sortie de votre nouveau roman intitulé « Vite, en finir avec la guerre 14 » prévue avant cet été. Ce roman fait suite à votre précédente production « Au carrefour des brumes » parue aux éditions Thot en 2001 et ayant été honoré du prix « Plume de l’Espoir » par la Société des Auteurs Savoyards.
Vous inscrivez l’intrigue de votre histoire dans un contexte particulier, celui de l’après-guerre, en 1919, alors que la France se relève difficilement du traumatisme occasionné par les conflits. Nous retrouvons à cette occasion la tribu Baes à Esquerchin dans leur grande ferme, où nous pouvons découvrir la réalité de leur quotidien ponctué de peines, de deuils, mais aussi d’un grand attachement à la vie. Nous apprenons que vos deux grands-pères furent médecins à Verdun et que l’une de vos deux grands-mères vous parlait de la guerre de 14 – 18 tous les jours. Ainsi, vous pouvez prétendre être un héritier de sa parole. Quelle place cette expérience acquise par vos aïeux occupe-t-elle dans votre démarche d’écrivain et pourquoi avoir choisi de placer votre intrigue dans cette période de l’histoire ?
Jean-Charles Vandenabeele : Parce que la période que nous vivons actuellement intervient juste un siècle après ce moment délicat de notre Histoire, l’un de mes deux grands-pères médecins étant d’ailleurs décédé il y a 100 ans en décembre 1918.
Parce que j’ai toujours pensé que j’écrirai une suite au premier roman. Et peut-être encore une autre suite qui sera située 20 ans plus tard quand les deux presque jumelles du roman d’aujourd’hui auront vingt ans, en 1939 (mon autre grand-père médecin étant, lui, décédé en 1940).
Parce que ayant accumulé, avant d’écrire, de la doc de toute sorte sur 14 – 18 (pendant 15 ans) du temps où internet n’existait pas encore, je connais assez bien le sujet.
Comme vous le soulignez, il est certain que si je n’avais pas vécu (pendant la semaine) chez ma grand-mère paternelle épouse du grand-père décédé en 18, quand j’avais entre 10 et 14 ans (le collège étant en ville à Douai 59), je n’aurais pas écrit de romans sur cette période. En effet, elle me parlait quasiment chaque jour de la guerre 14 (mais pas de 39 – 45), son discours étant toujours appuyé sur de la doc de l’époque.
Par contre, j’ai basé mon histoire d’origine (“Au Carrefour des brumes”) sur les lieux de vie de mon autre grand-mère à Esquerchin (à côté de Douai) parce qu’elle est inspirée de faits réels : la très grande ferme en question qui existe toujours à côté de l’église, le château de la petite-fille de la Comtesse de Ségur racheté par mon AR grand-père et qui a brûlé effectivement en 1915 (les Allemands occupant le château), ce même AR grand-père pris en otage alors qu’il occupait la fonction de maire, les deux petites filles de six mois décédées en début de guerre, l’ancien hôpital que j’ai bien connu puisque j’y ai été interne dans les années 70, etc.
Pour le fun, je dois dire que je pensais avoir inventé que les Alliés (Canadiens et Anglais) avaient pris à revers les Allemands en passant par les carrières souterraines (nombreuses dans le coin) et me suis aperçu ensuite qu’ils l’avaient vraiment fait (qui plus est avec 24.000 hommes !).
Sinon, l’Histoire en général m’a toujours intéressé puisque j’ai gagné à l’âge de 20 ans un concours d’histoire organisé par la Voix du Nord qui concernait l’histoire du Douaisis (prix, un voyage à Cannes).
Enfin, comme indiqué sur la quatrième de couverture de “Au Carrefour des brumes”, mon souhait initial était de rendre compte de la vie difficile pour les femmes et les familles, en zone occupée dans le Nord de la France, région qui a souffert d’être occupée à chaque guerre. Alors qu’en classe, on nous parlait quasiment uniquement de l’Alsace-Lorraine.
Pour la suite, je me suis inspiré aussi de faits réels, par exemple l’usine à gaz de la petite ville d’Hénin-Liétard, dirigée par un autre de mes AR grands-pères, qui a explosé à cause d’une cigarette (raconté toujours par la même grand-mère) et j’ai profité de mes deux ans passés dans la maison natale du Général de Gaulle (nom d’origine : Van de Walle selon ma proprio qui était de leur famille…) pour évoquer sa personne sans le dire expressément. À ce propos, un de mes AR (ou AR AR) grands oncles était effectivement doyen de l’église de la rue Royale juste à côté de ladite maison, rue Princesse à Lille.
Par ailleurs, si beaucoup de soldats ne sont pas rentrés de la guerre (et on en découvre encore aujourd’hui), d’autres qui sont revenus ne s’en sont jamais remis : ce fut ma première préoccupation en écrivant cette suite. Pour les jeunes femmes, veuves ou pas, il a fallu réapprendre à vivre avec les moyens du bord. Quant aux deux soeurs, Charlotte et Marie, mes héroïnes très proches pendant la guerre, une subtile évolution se produit entre elles au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la guerre.
CL : Comme vos deux grands-pères justement, vous êtes vous-même actuellement médecin. Ceci légitimise les nombreuses références médicales que vous puisez dans votre roman. À ce titre, vous qualifiez vous-même votre roman comme roman de terroir, en raison de ce vocabulaire médical d’époque, de l’utilisation du patois du Nord, ainsi que la représentation fidèle de la vie en campagne en cette période de l’histoire. Pourquoi avoir choisi, plus que la ville notamment, de développer votre intrigue dans une ferme ?
Jean-Charles Vandenabeele : Comme indiqué, je suis issu d’une famille de médecins : mes deux grands-pères, bien sûr, qui furent médecins en 1916 sur le site de Verdun, mon père, mon oncle, des cousins, des nièces, etc. Et je fais exprès d’utiliser le parler local en patois pour ancrer l’histoire dans le terroir. Ça n’a pas empêché les Savoyards de me donner une Plume de l’Espoir alors que je n’évoque pas du tout l’histoire des Savoie.
Sinon, quand j’étais enfant, né le 10 novembre 45 à 23H 30 (en fait le 11 nov. mais ma mère n’a pas voulu l’officialiser…), on ne se rendait pas vraiment compte que nous sortions de la guerre (qui fut particulière chez nous, on le sait) sauf que mon père médecin impliqué aussi en politique était très ami avec Maurice Schumann (la Voix de la France, ministre du Général, etc.) et que j’ai appris bien des années après que c’est mon père qui conduisait le Général de Gaulle dans sa voiture perso lors de la manifestation pour la libération de Douai en 1945.
Donc, pas de nostalgie au sens propre mais plutôt une certaine curiosité de ce qu’avaient vécu mes proches (mon père né en août 1914 n’a jamais connu son père, par exemple), suivre les femmes qui avaient survécu, en fait.
CL : Avez-vous été inspiré par un poète, ou un romancier durant l’écriture de votre livre ? Vous introduisez notamment votre roman avec le célèbre poème « Chanson d’automne » de Paul Verlaine. Avez-vous peut-être aussi un compositeur, un artiste à nous faire partager, ayant accompagné votre plume ?
Jean-Charles Vandenabeele : Paul Verlaine avait des attaches dans la région, sa mère étant originaire de Fampoux près d’Arras (comme quelques membres de ma famille) et on sait que Rimbaud est passé par Douai. Chanson d’automne (utilisé par ailleurs en 39 – 45) est un poème chargé de nostalgie que j’aime beaucoup et qui me paraît assez adapté à la période évoquée dans le roman (en particulier, pour la nostalgie des temps heureux de l’avant-guerre).
Pour “Au Carrefour des brumes”, j’avais mis en exergue un extrait du “Voyage au bout de la nuit” de Céline (médecin lui-même…) qui concernait la Flandre, parce que j’aimais assez son style.
Enfin, dans le roman d’aujourd’hui, j’ai essayé de glisser un peu de l’humour poétique cher à mon fils Julien, jeune écrivain prometteur décédé en 2015 des suites d’un burn-out (il était correcteur pour le jeu “Tout le monde veut prendre sa place” présenté par Nagui sur France 2).
Sinon, pas vraiment d’artiste pour m’inspirer, sauf peut-être, pour son fameux Requiem, Gabriel Fauré qui passait ses vacances à l’époque du roman juste à côté de chez moi (en face du vieux clocher d’Annecy-le-Vieux en Hte Savoie) ou alors Léo Delibes pour Lakmé.
CL : Plus de quinze ans séparent la sortie de votre roman « Au carrefour des brumes » et « Vite, en finir avec la guerre 14 ». Que représente pour vous cette sortie après toutes ces années ?
Jean-Charles Vandenabeele : Sortir cette suite 17 ans après le premier roman est d’abord en rapport avec les concordances de temps évoquées en début de page. Et de toute façon, il fallait attendre que mûrisse la suite de l’histoire. Je ne savais pas si, comme beaucoup d’auteurs, j’allais utiliser les 20 ans avant 1939 ou si j’allais choisir d’en rester à l’immédiat après-guerre.
CL : Nous apprécions la quantité de détails sur l’environnement de la tribu Baes, renforçant grandement l’immersion dans une vie d’après-guerre dans un contexte tendu, encore en l’attente du dénouement du traité de Versailles. Nous nous rappelons alors à quel point la vie n’a pas toujours été comme nous la connaissons actuellement. Quel message, souhaitez-vous faire passer par l’intermédiaire de votre roman, aux personnes de votre génération, mais aussi aux plus jeunes ?
Jean-Charles Vandenabeele : Je ne vous apprends rien en disant que cette guerre 14 a eu un impact direct sur toutes les familles françaises (y compris en Haute-Savoie, française depuis peu à l’époque) et encore plus sur les familles du Nord.
Parvenir à en sortir est aussi important que de survivre pendant la guerre elle-même.
Même si, 100 ans après, les petits écoliers lisent avec application leur texte le 11 novembre, ils ne comprennent pas vraiment de quoi ils parlent. Alors, autant essayer de leur faire découvrir ces évènements majeurs du XXe siècle à travers de tels romans à caractère historique.
CL : Nous vous remercions chaleureusement de bien avoir voulu répondre à ces quelques questions. Vos lecteurs pourront retrouver la suite des aventures de Marie et Charlotte cet été aux éditions La Compagnie Littéraire. Pour ceux qui vous découvriront à cette occasion, nous vous laissons le mot de la fin en leur honneur.
Jean-Charles Vandenabeele : Bernard Werber dit toujours qu’un auteur doit prendre de la hauteur. Essayons.
—-> La guerre 14 – 18 a été une forme de suicide de l’Europe.
Cette guerre qualifiée de mondiale, compliquée d’une épidémie de grippe spécialement mortelle, eut essentiellement trois origines, évoquées par moments dans mes romans :
- L’erreur de Napoléon III qui déclara la guerre à l’Allemagne en 1870 et nous fit perdre l’Alsace et la Lorraine.
- L’invasion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 par l’empereur d’Autriche François-Joseph, à l’origine de l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914.
- Le décès prématuré en 1888 de Frédéric III de Prusse (qui parlait de rendre l’Alsace-Lorraine à la France) remplacé par Guillaume II, jeune kaiser belliqueux qui détestait son oncle Édouard VII, roi d’Angleterre.
Donc :
“Au Carrefour des brumes”, a surtout conté l’épopée de deux jeunes femmes dans la tourmente de 14 – 18, au sens propre, en zone occupée dans le Nord de la France, au coeur des combats.
“Vite, en finir avec la guerre 14”, poursuit l’histoire de ces deux mêmes soeurs, Charlotte et Marie, qui, la guerre terminée, reprennent goût à la vie, chacune à leur façon alors que ça se passe moins bien pour leur grande soeur Berthe. Oui, les coeurs, même brisés, continuent de battre.
Mais ces résumés manquent peut-être un peu de poésie…
[…] Tous ces souvenirs, et bien d’autres ont donc servi de matière à Jean-Charles Van den Abeele pour écrire Au carrefour des brumes et sa suite Vite, en finir avec la guerre 14, dont L’ami des auteurs vous reparlera sûrement très bientôt. […]