La Compagnie Littéraire : Jean-Claude Bidaux, bonjour. Vous avez publié il y a quelques mois à La Compagnie Littéraire un essai intitulé : Un avenir à construire ensemble… aux antipodes du transhumanisme. Le titre annonce d’emblée votre vision des choses. Comment a commencé la rédaction de cet ouvrage ? Y a‑t-il un événement particulier qui vous a poussé à le faire ?
Jean-Claude Bidaux : Ce livre est l’aboutissement de mon chemin de vie, au point où j’en suis en ce moment. Après quelques années professionnelles en tant qu’ingénieur puis modeleur muraliste, mon intérêt pour notre vie sociale m’a fait passer par le développement personnel puis une quête de sens à trouver dans cette société.
La Compagnie Littéraire : Vous abordez ici une question fondamentale : « Que faisons-nous sur Terre et sommes-nous capables d’évoluer ? » Pouvez-vous en quelques mots développer votre point de vue ?
Jean-Claude Bidaux : Merci de souligner cette question fondamentale. C’est précisément cette quête de sens qui m’a progressivement motivé de plus en plus. Sommes-nous capables d’évoluer pour faire autre chose que produire et consommer dans cette société manipulée par et pour l’argent de quelques-uns ? C’est-à-dire sommes-nous capables, ou serons-nous capables, de vivre paisiblement et harmonieusement quelles que soient notre position sociale, notre couleur de peau et nos croyances (ou non-croyances) ?
La Compagnie Littéraire : Vous parlez du « hiatus » qui nous empêche de passer aux actes bienfaiteurs. Il s’agit d’un conflit entre nos intérêts et notre éthique, d’où un malaise. Comment en sortir ?
Jean-Claude Bidaux : Comment sortir du malaise du hiatus ?
Juste rappeler que le hiatus oppose les généreuses dispositions que nous avons généralement vis-à-vis des autres et la peur que, dans ce cas, nous éprouvons à vouloir y donner suite (soit la peur de perdre quelque chose à quoi nous tenons).
Que se passe-t-il à ce moment-là ? Soit nous cédons à la peur et restons en retrait (abrité.e dans nos habitudes) ; soit nous essayons de ne pas y céder et ressentons alors un malaise ; je m’en aperçois mais comment vais-je faire pour me libérer de mes peurs ?
On peut dépasser ce malaise en constatant que notre généreuse disposition est plus importante que le risque qu’elle entraîne pour soi. Je me rends compte aussi qu’accepter cela me renforce intérieurement et diminue par conséquent, voire fait disparaître, ma peur.
La Compagnie Littéraire : Vous ajoutez qu’il faut une « désemprise » de l’argent ; pour cela il faut « dépouiller l’argent de son habit de sécurité ». C’est la solidarité humaine qui doit l’emporter et c’est là que nous trouverons la sécurité. Pensez-vous cet objectif réalisable à court ou moyen terme ?
Jean-Claude Bidaux : Se délester de l’emprise de l’argent suppose déjà qu’on aura pris conscience de l’effet délétère de l’argent uniquement pour le profit personnel*.
Deux niveaux de réponse pour « objectif réalisable à court ou moyen terme » :
- il est plus facile à titre individuel de se délester de l’attraction de l’argent, en vivant sobrement, sans éprouver le besoin d’avoir toujours plus, donc en se contentant de ressources modestes – à condition de ne pas être dans le dénuement (mais là c’est autre chose puisqu’on n’est plus en situation d’accumuler pour la jouissance de posséder) ;
- par contre au plan collectif , celui qui renvoie à la capacité de décider ensemble des plans d’investissements et de dépenses publiques au bénéfice de tou.te.s, je ne sais pas quand « se défaire de l’emprise de l’argent » sera possible : forcément plus compliqué et plus lointain qu’au niveau du seul choix individuel car dépendant de l’évolution de l’ensemble des mentalités (je ne me sens pas autorisé à dire dans les 15 ou 20 ans, ou plus …?).
* mais l’argent uniquement vu comme outil au profit des échanges sociaux équilibrés peut être vu comme bienfait.
La Compagnie Littéraire : Derrière le transhumanisme se cacheraient peut-être la peur de la mort et son refus. Selon vous, comment en est-on arrivé à ce que vous appelez cette « arnaque » mondiale ?
Jean-Claude Bidaux : On retrouve ici le pouvoir de l’argent, car le transhumanisme utilise tant les techniques eugéniques que numériques qui nécessitent de très bons revenus financiers, lesquels ne sont pas à la portée de tout le monde. Par ces techniques le transhumanisme fait miroiter l’allongement de la vie, voire sans fin puisque jusqu’à la mort de la mort.
Ce faisant le transhumanisme veut ignorer notre véritable nature humaine, la technologie requise pour ces pratiques n’étant pas en mesure de fonctionner au niveau de notre organisme, capable lui de psychologie et de spiritualité. Il y a arnaque en laissant croire que la vie prolongée par la technologie soit possible et, suite de l’arnaque, que ce prolongement soit de même nature que la vie elle- même, dans nos corps tels que nous les connaissons.
La Compagnie Littéraire : Vous écrivez que, sur le plan physique et biologique, l’être humain est achevé. C’est sur les plans psychologique et spirituel qu’il est en devenir, avec ou en dehors de toute religion. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ; comment voyez-vous ce « devenir » ?
Jean-Claude Bidaux : C’est là une question fondamentale dans mon propos. Ce devenir sera possible si nous continuons notre évolution*.
« Si nous la continuons ! » car actuellement nous détruisons les conditions naturelles de vie sur Terre au point de compromettre l’avenir de notre espèce.
Notre avenir sera vraisemblablement possible si nous continuons l’évolution en cours depuis la naissance de notre espèce, laquelle nous a amenés jusqu’à ces jours de grand développement matériel (voir toutes nos réalisations technologiques), mais qui a, sauf pour une petite partie de la population, négligé le développement de nos merveilleuses capacités psychologiques et spirituelles.
Donc optons collectivement pour ce développement et nous aurons un avenir.
* évolution qui devrait, en premier lieu, permettre de stopper les destructions environnementales en cours.
La Compagnie Littéraire : Vous faites plusieurs fois référence dans votre essai à Darwin et à André Comte-Sponville. Quel lien établissez-vous entre les deux ?
Jean-Claude Bidaux : Je ne crois pas qu’il y ait de lien, en tout cas je n’en ai pas trouvé.
Par contre j’ai trouvé, chez chacun d’eux, des positions qui confortent la mienne. Et c’est, pour moi, le constat qu’en dehors de toute rencontre, nous sommes, les unes et les autres, nourris de mêmes concepts, de mêmes valeurs.
La Compagnie Littéraire : Vous déclarez par ailleurs que « le Réel est plus vaste que la Science et que celle-ci n’a pas toutes les réponses pour l’avenir ». La Science ne doit pas être un « Nouveau Dieu ». Comment pouvons-nous, d’après vous, retrouver la capacité de percevoir la réalité comme faite aussi de « phénomènes » non physiques ?
Jean-Claude Bidaux : On rejoint là notre constitution psychologique et spirituelle déjà évoquée plus haut.
« Retrouver la capacité de percevoir la réalité comme faite aussi de phénomènes non physiques » résulte de l’observation de notre vie au quotidien et des diverses aventures qui s’y produisent, s’y manifestent :
- pour les phénomènes physiques : ce qui se passe dans mon corps, au niveau des organes qui le constituent,
- pour les phénomènes non organiques, ou spirituels, ce qui se passe au niveau du sens de ma vie, au niveau des valeurs que je porte,
- et pour les phénomènes intermédiaires *, ce qui se passe en moi au niveau de ressentis, d’émotions, de sentiments, de pensées (qui ne sont pas des actions ou réactions d’organes mais qui peuvent avoir des effets sur les organes et inversement).
Donc retrouver « la capacité de percevoir » dépend de notre seule attention, ou observation, de notre seul questionnement, ou interrogation.
* qui se rapportent à notre comportement psychologique en général, mais aussi à notre âme pour d’autres – on peut d’ailleurs citer la triade « corps-âme-esprit »
La Compagnie Littéraire : Au fil de votre texte, vous insistez sur les notions d’individuel et de collectif, les deux formant une paire indispensable, car l’homme est un être social. Pour vous, il s’agit d’une « évolution » nécessaire et non d’une « révolution ». Comment cela sera-t-il possible ? Pouvez-vous préciser votre pensée ?
« Évolution » renvoie à Darwin qui met en évidence que l’humain d’aujourd’hui n’est pas le même que l’humain des débuts, signe qu’une évolution s’est faite ; l’évolution étant un changement progressif inscrit dans la durée et sans rupture brutale d’un état à un autre.
« Révolution » renvoie plutôt à de relativement récentes situations historiques qui comportent des changements rapides et soudains, voire brutaux, de rapports sociaux, et pas nécessairement pérennes.
J’ai donc marqué une préférence pour « évolution » parce que celle-ci inscrit pacifiquement un changement opportun et social dans la durée, tandis que
« révolution » est souvent porteuse de prise de pouvoir opportuniste et clanique (exemple : la révolution égyptienne de 2011, suivie du coup d’État de 2013), sans portée de progrès social.
Cette évolution sera possible, en prolongement de notre évolution précédente, si notre conscience des grands dangers environnementaux se développe au point que les citoyens, en nombre impressionnant, soient capables de dévier la course destructrice du capitalisme au pouvoir.
La Compagnie Littéraire : Ce qui est poignant, c’est que c’est de notre humanité qu’il s’agit. Vous dites que « l’état de l’existant (c’est-à-dire notre Société et ce que nous faisons à la Nature) n’est vraiment plus acceptable ». Alors, allons-nous être capables de nous « harmoniser », et de choisir le bon chemin au plus vite (même si c’est déjà un peu tard)? Allons-nous faire preuve de discernement ou faudra-t-il que nous y soyons contraints ?
Jean-Claude Bidaux : C’est le prolongement de la question précédente avec en plus une allusion aux moyens de parvenir à stopper la dérive. Deux options s’offrent à nous : laquelle choisirons-nous ?
Bien s’harmoniser, le plus souhaitable bien sûr, suppose que la prise de conscience se répande largement, fédérant ainsi une large majorité parmi nous. Et sans tarder.
Sinon la contrainte nous poussera dans l’urgence à prendre des mesures non préparées, plus ou moins appropriées, et possiblement trop tardives pour être efficaces. Le risque est que la vie humaine devienne handicapée, voire inadaptée, sur une planète qui ne serait plus hospitalière comme maintenant.
La Compagnie Littéraire : Vous dites que nous n’ignorons pas que, si nous ne réagissons pas MAINTENANT, le chemin pourrait devenir très brutal et dangereux. Votre dernière phrase est : « Vers quelle issue ? » En voyez-vous une dans ce cas ?
Jean-Claude Bidaux : Vers quelle issue ? Je vous renvoie à la fin de la question précédente : « Le risque est que la vie humaine …».
La Compagnie Littéraire : Pour finir, nous voudrions aborder un aspect récent de notre monde. Depuis la parution de votre ouvrage, nous avons vécu l’épisode de Covid 19 qui n’est pas terminé. À la lumière de cet événement et dans le cadre des réflexions que vous développez dans votre livre, quelle est votre analyse sur la situation actuelle ? Qu’en pensez-vous ?
Jean-Claude Bidaux : Question évidemment très opportune.
Covid 19 nous met précisément en situation de faire maintenant le choix entre :
- continuer comme avant, c’est-à-dire continuer à dégrader la planète et ses ressources bienfaisantes,
- ou bien prendre le virage nécessaire pour quitter la route qui nous mène à la catastrophe.
Au printemps dernier, en plein confinement, on sentait que ce choix montrait le bout du nez. Mais manifestement pas assez car on sent maintenant que se remet en route la même société qu’avant. Aucun virage ne semble amorcé, même si une orientation plus écologique pointe à l’horizon.
Mais « vers quelle issue ? ».
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Nous remercions Jean-Claude Bidaux d’avoir répondu à cette interview signée Monique Rault. L’ouvrage “Un avenir à construire ensemble… aux antipodes du transhumanisme” est disponible sur Fnac.com, Amazon, Decitre, les librairies du réseau Place des librairies et Dilicom et plus généralement en commande dans toutes les librairies de France et de Navarre.