Éditions la Compagnie Littéraire : Sandrine Turquier, bonjour. Vous venez de publier à la Compagnie Littéraire un troisième opus poétique intitulé « Fantaisie poétique au clair de lune ». Nous sommes plongés dans un univers nocturne, onirique, métaphysique. Comment définiriez-vous votre ouvrage ?
Sandrine Turquier : Bonjour Madame Rault ! Oui et c’est un immense plaisir de retrouver ma maison d’édition pour la publication de mon troisième ouvrage poétique.
Effectivement, Fantaisie poétique au clair de lune est une immersion dans un univers nocturne, onirique et métaphysique, trois dimensions qui sont une métaphore de l’esprit humain . Cet ouvrage est un tournant dans ma vie d’écrivain, car il convoque “le corps pluriel ” de ce que je suis en tant qu’individu et créatrice , un être de foi avec ses ténèbres et ses transcendances.
Ce projet littéraire me poursuivait depuis longtemps, mais j’attendais le moment venu pour lui donner naissance , car je souhaitais intégrer au récit des illustrations personnelles réalisées en technique mixte qui offrent un onirisme et une atmosphère particulière au déroulement du récit.
Les illustrations sont les incarnations de chaque chapitre.
Concernant la définition de mon ouvrage, je le définirai de deux manières.
La première comme un récit poétique philosophique réaliste aux résonances très contemporaines et la seconde comme un palimpseste sur lequel les lecteurs peuvent s’identifier et inscrire leur vision du monde dans le théâtre de la vie.
Éditions la Compagnie Littéraire : Le livre commence avec deux évocations : « Ici commence l’histoire » et « Manhattan dormait ». Vous écrivez successivement, dans la première : « Des larmes de sang rencontrent une âme… Et the Doll’s Cemetery est en ruines », et dans la deuxième : « La lune commençait son règne et au troisième étage d’un appartement situé au 3 East 9th Street à Greenwich Village, une entité raconte dans une nuit sans fin le théâtre du monde ». La mise en scène semble ainsi posée. Sandrine Turquier, qui est cette entité ? Quels sont vos liens ensemble ? Et pourquoi ce lieu, Manhattan ?
Sandrine Turquier : Cette entité qui se prénomme Doris ( la narratrice) est neutre, elle n’a pas d’identité propre , selon l’interprétation des lecteurs , elle peut incarner l’auteur, la voix de l’humanité, une femme, un groupe, un mode de pensée philosophique, un être mystique, une expérience de vie…
Vous remarquerez dans un passage de mon ouvrage que Doris (l’entité ) précise que son âge importe peu, car elle n’existera que le temps de son histoire, si elle existe vraiment.
C’est en cela que je donne déjà des clés de lecture et d’interprétation libre de mon ouvrage.
Quant à mes liens avec cette entité, je dirais qu’ils sont mystiques, dans le sens philosophique et émotionnel du terme, mais qu’inéluctablement des empreintes de mon vécu y sont gravées comme un reflet de moi — même apparaissant en transparence dans le récit comme l’enfance, la solitude et la relation au monde…
Vous me demandez pourquoi j’ai choisi Manhattan pour construire mon récit, Manhattan incarne pour moi le paradoxe des destins , des chassés — croisés permanents entre le dénuement et la prospérité,mais également parce qu’il y règne une énergie vitale, électrisante et sensuelle.
La beauté physique et architecturale de Manhattan est déjà une écriture que je dirais automatique par les innombrables sensations émanant de son attractivité.
Je ne pouvais imaginer autre lieu pour construire mon récit et donner vie à mes personnages.
Éditions la Compagnie Littéraire : Et voilà que nous, lecteurs, sommes témoins d’une nuit de silence sans sommeil, où l’introspection et les souvenirs d’enfance s’entrechoquent, où l’évocation d’un passé amoureux se heurte à la sensation d’oppression et à la peur, comme une peur d’anéantissement. Pouvez-vous nous éclairer un peu sur tout cela ? Rêve éveillé, réalité enfouie, pressentiments ?
Sandrine Turquier : Oui, et c’est avec de nombreux détails que je vais éclairer les lecteurs .En construisant de cette manière les récits et poèmes qui s’éclairent de l’un à l’autre, j’ai voulu retranscrire de manière organique et métaphysique ce que ressent Doris au tréfonds de son âme, lorsqu’elle se pose de nombreuses questions et qu’elle dresse un constat sur sa vision de l’humanité, mille et une émotions, images, pensées intimes viennent à elle, notamment l’évocation du passé amoureux qu’elle distille subtilement dans certaines phrases du chapitre ” L’atmosphère se devine”.
Effectivement c’est tout à fait cela une réalité enfouie, mais qui rejaillit brutalement en rêve éveillé ébranlant la narratrice par des images faisant référence à son passé amoureux, la peur est alors à la dimension de ce passé sentimental obscur, angoissant et douloureux.
Éditions la Compagnie Littéraire : Avec le « récit dans le récit » intitulé « Ab uno disce omnes », une identité nous est révélée, celle de Anke Rattle. Celle qui raconte ( l’entité, Doris, la narratrice…) nous déclare : « Je fus son élève, sa proie, sa victime, son amante… » C’est étrange, c’est comme si la peur nous gagnait en lisant ces lignes, et la convocation d’Alice au pays des merveilles ne pourra rien y faire. En effet, ne lit-on pas dans le poème suivant : « La petite fille aux cheveux d’or ne sourit plus, elle grimace… Elle me jette au visage les éclats de verre des miroirs de l’enfance solitaire ». La puissance de l’évocation poétique accentue considérablement l’émotion qui se dégage et le poids des forces en présence. Quels liens avez-vous voulu tisser entre ces différents éléments ? Quel message cherche à se faire entendre ?
Sandrine Turquier : Les liens que j’ai voulu tisser avec ces différents éléments sont ceux de l’enfance et plus particulièrement l’enfance maltraitée par l’abandon, le manque d’amour et les conséquences dévastatrices dans la construction psychique de l’enfant et la résultante de personnalités perverses narcissiques à l’âge adulte.
En ce fait , l’intervention d’Alice aux pays des merveilles dans le récit n’est pas anodine, elle apparaît à des moments cruciaux des récits comme une mise en garde, un souvenir-écran … La rencontre de Doris avec Anke Rattle est une tragédie, l’enfance y tient une grande part de responsabilité…
Alice est aussi une métaphore de l’enfance traumatisée, l’expression de sa violence lorsqu’elle jette au visage de Doris les éclats de verre des miroirs de l’enfance solitaire sont en réalité la réémergence des comportements infantiles pathologiques existants chez l’adulte en souffrance.
Le visage d’Alice devient alors effrayant entre ange et démon.
Quant au message qui cherche à se faire entendre c’est celui-ci .
Quelle que soit la personne que l’on rencontre, ce n’est pas à l’adulte que l’on s’adresse en premier, mais à l’enfant qui est en lui. Et bien souvent par inattention, inconscience nous avons des attitudes, des expressions verbales qui deviennent plus dangereuses que salutaires.Tout l’univers de l’enfance peut rejaillir par l’évocation d’un mot.
Nous ne perdons que de l’enfance l’innocence.
Éditions la Compagnie Littéraire : Un personnage prend corps et s’invite au fil des heures du récit, il s’installe, il s’appelle Solitude. Qui est-il ? Monstre, Compagnon, Allié ? J’aimerais que vous nous en parliez, et plus particulièrement que vous rappeliez les vies évoquées de Abe, Margie, Ruth, Barney… Comment leur âme tente-t-elle de se sauver ?
Sandrine Turquier : Le personnage Solitude représente la déréliction, cette solitude humaine propre à l’être humain qui prend sa source dès l’enfance et que nous sommes amenés à connaître dans sa plus haute dimension à un moment donné de notre vie que ce soit face à la maladie, devant de grandes décisions à prendre, la confrontation face à nous même , notre destin, notre place sur Terre en cela nous sommes seuls.
Pour chacun d’entre nous à certains moments de la vie , la solitude peut-être un monstre , un fardeau aliénant qui dévore la sociabilité et l’équilibre psychique , a contrario dans d’autres circonstances, la solitude se fait compagne bienveillante, salvatrice et sécure lorsque la vie n’est que douleurs et que l’on s’avère déçu du comportement humain dans sa généralité.
La solitude est faite de nombreux paradoxes , mais elle reste indéfectiblement liée à la condition humaine.
Je suis particulièrement touchée que vous évoquiez Abe, Margie, Ruth et Barney , mes personnages du chapitre s’intitulant “Les Hautes Solitudes” j’ai une affection particulière pour chacun d’eux.
Abe est un vieil homme qui communique essentiellement avec la nature depuis la mort de son épouse , la solitude de Abe est celle de la souffrance d’avoir perdu l’être qui comptait le plus au monde pour lui, pour Abe la solitude est une nécrose et l’indifférence des hommes à sa souffrance contribue à sa perte.
Pour Abe la solitude est un tombeau.
Pour Margie, c’est différent, sa solitude est imposée par une maladie mentale qui l’enferme et évince toute possibilité de rencontrer l’amour et de faire des rencontres amicales.Margie ne se rend pas compte de la folie qui l’habite.
Elle vit sa vie dans cette folie dont elle n’a pas conscience, son âme est vibrante.
Quant à Ruth c’est une solitaire depuis toujours.
Elle possède depuis l’enfance un sens de la gravité sur le comportement humain.
Ruth est un être de foi, sa solitude illumine son âme jour après jour et la rapproche au plus près du Divin.
Ruth est une femme heureuse loin des hommes, son âme est près de Dieu.
Barney c’est un homme détruit par les vicissitudes d’une existence chaotique , SDF, il se bat chaque jour pour sortir de la rue, être et rester vivant en tentant de surmonter la cruauté des hommes. La solitude de Barney est une solitude constructive qui reconnecte son âme jour après jour au monde des visibles.
En construisant ces personnages, j’ai voulu mettre en exergue les oubliés, ceux qui ne comptent plus ou pas dans la société, “Les Hautes Solitudes ” est un hommage rendu à ces personnes que je respecte profondément et admire.
Éditions la Compagnie Littéraire : On peut parler ici de confrontation avec un « ailleurs » : ni sur Terre, ni au Ciel, mais ailleurs. Mais qu’en est-il de cet ailleurs ? Est-ce un flirt avec la folie ? La magie de l’enfance qui veut vaincre la mort ? Le vide du temps qui nous aspire comme un trou noir ? Quelque chose que nous essayons d’atteindre et de comprendre alors qu’il ne semble pas que la condition humaine le permette totalement ? Une dimension mystique ? Autre chose ?Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
Sandrine Turquier : Cet “ailleurs” avec lequel Doris ( la narratrice) se confronte est un espace autre au-delà du champ mental , un lieu de transcendance mystique effectivement qui l’aspire en la faisant glisser dans les structures du temps où elle s’interroge sur une lointaine civilisation… Dans cette partie du récit où Doris est littéralement aspirée, j’ai voulu sensibiliser le lecteur sur le mystère de la vie de manière universelle.
Qui sommes-nous ? Que conservons-nous vraiment de nos ancêtres ?
Quel est l’autre en nous qui est à la fois Homme et Bête ?
Éditions la Compagnie Littéraire : Le livre se termine sur une page intitulée « Qu’est-il advenu de nous ? » La nuit sans sommeil s’est avancée, Mélancolie s’est imposée dans la danse aux côtés de Solitude et de Rêve, même le croissant de lune semble changer d’aspect, tant les yeux de celle qui raconte l’ont fixé… Et vous écrivez : « C’est peut-être ça traverser les murs. »
On a envie d’en savoir plus, pouvez-vous nous en dire quelque chose ?
Sandrine Turquier : Oui, et je vais rompre le suspens sans bien entendu tout révéler aux lecteurs ! Nous arrivons ici au dernier chapitre, une page qui est la dernière pièce du puzzle de l’énigmatique nuit de Doris.
La lune tient une place importante dans le récit , vous avez remarqué que plus nous approchons de la” fin” du récit plus son apparence se modifie sous le regard hypnotisé de la narratrice.
La lune est l’alpha et l’Oméga de “l’existence” de Doris.
En ce qui concerne la phrase “C’est peut-être ça traverser les murs” je la résumerais par une phrase.
Notre existence, notre passage sur Terre est une expérience, dépassons ce que nous sommes en apparence, notre véritable nature règne au plus profond de notre être et parfois bien au-delà…
Merci Madame Rault pour cette belle interview !
Doris dans son appartement du 3 East 9th Street à Greenwich Village attend avec impatience ses lecteurs et moi aussi !
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