Éditions la Compagnie Littéraire : Yann Gontard, bonjour. Vous avez publié récemment dans notre maison d’édition le second opus de votre roman : Journal d’un aventurier des temps modernes. Il s’agit du Livre II, Son Asie en vérités. Cet ouvrage poursuit le récit de votre tour du monde débuté trois mois plus tôt. Vous avez 24 ans le jeudi 30 novembre 1989 et vous arrivez à Bombay. Dans quel état d’esprit étiez-vous à l’époque ?

Yann Gontard : Le Moyen-Orient reste voisin de l’Europe avec certaines références familières. Les apports culturels, historiques, intellectuels ou commerciaux entre le Proche-Orient et l’Europe relativisent nos différences. Arriver à Bombay m’a subitement jeté dans un inconnu angoissant. Dès mon arrivée, ce fut le choc, choc visuel et olfactif. Visuel en constatant la présence insouciante de tous ces pauvres gens dormant sur le bitume, à quelques centimètres des pneus des véhicules. Olfactif en éprouvant, dès l’entrée à Bombay, l’odeur forte, désagréable et si particulière du désinfectant Cresyl. J’ai été alors immédiatement déstabilisé avec le sentiment d’être seul et vulnérable à l’autre bout du monde.

Éditions la Compagnie Littéraire : Dans l’introduction, vous revenez sur les trois mois passés au Moyen-Orient – trois mois relatés dans le Livre I – et vous évoquez, je vous cite, « le choc ahurissant de la présence réelle et fondamentale de Jérusalem et la rencontre idoine avec le père Jacquot de Port-Saïd », ces deux éléments ayant ancré en votre cœur la certitude d’un message divin. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé pour vous ?

Yann Gontard : L’expérience de Jérusalem est singulière, unique. Vous pénétrez les portes de la vieille ville, vous êtes immédiatement happé par la présence divine. La vie de tout un chacun a un sens et Jérusalem vous le révèle. J’ai du mal à me l’expliquer, je l’ai simplement vécu. Je me suis soudainement senti fort et plein de cette énergie vitale, retrouvant d’ailleurs la foi. Quelle énergie ? Quelle foi ? Probablement l’immense sentiment d’amour vis-à-vis des hommes et des femmes qui nous entourent, et ce malgré toute la violence quotidienne du pays. C’est un magnifique message d’espoir et d’espérance. Car là où les êtres humains n’arriveront pas à s’entendre, cette force incommensurable, inexplicable pourra se substituer sans tabou, ni contrainte.

Éditions la Compagnie Littéraire : Votre technique narrative est assez originale : vous mettez en scène un narrateur qui nous parle des aventures d’un personnage qu’il nomme « Il ». En réalité, ce « il », c’est vous. Pourquoi avoir choisi de construire ainsi votre récit ?

Yann Gontard : Effectivement quelques retours – que j’apprécie toujours – de lecteurs m’en ont fait la remarque. Ma volonté était de m’extraire, de me détacher de ce jeune homme pour le considérer, l’étudier, l’observer agir et grandir, se tromper et réagir, changer et aimer. Je voulais également prendre de la distance avec lui pour ne surtout pas me prendre trop au sérieux, pour jouer également sur plusieurs tableaux, celui de l’ironie, de l’humour, de la compassion, voire de la colère. Mais la raison principale est que je ne suis plus celui que j’étais. L’un des objectifs de ce long voyage était de raccommoder – réconcilier ? – la personnalité balbutiante que je me construisais. Cette réconciliation va arriver, mais il lui faut encore un peu de temps…

Éditions la Compagnie Littéraire : Ce « héros », cet « aventurier » nous fait découvrir l’Inde et le Népal à travers des anecdotes et des rencontres. Le souci du détail s’allie à un certain humour. Pourriez-vous nous raconter ici une ou deux anecdotes que vous affectionnez particulièrement ?

Yann Gontard : Après trente ans, les deux anecdotes qui me viennent immédiatement à l’esprit se situent aux deux extrêmes, celui de l’expérience de la mort et celui de la légèreté de la vie. J’ai frôlé le drame à probablement moins d’un centimètre. L’idée de penser à ces quelques secondes, qui auraient pu changer diamétralement le cours de ma vie, me donne encore aujourd’hui des frissons dans le dos. A l’opposé, j’ai aimé me perdre avec insouciance dans le désert du Thar. Dépouillé de mes métaux – c’est-à-dire des contingences de ma vie passée –, j’accueillais ainsi en amour tous les évènements qui s’imposaient à moi.

Éditions la Compagnie Littéraire : Vous utilisez un ton enjoué, maniant l’humour et l’ironie et la stratégie de la naïveté – vraie ou fausse. Dès votre introduction, vous faites un parallèle entre votre héros et le Candide de Voltaire mais vous faites aussi allusion aux Lettres persanes de Montesquieu. Effectivement on y pense. Avez-vous été influencé par ces auteurs ?

Yann Gontard : Naturellement j’avais étudié ces œuvres au lycée, mais j’étais probablement trop jeune pour les apprécier à leur juste valeur. Récemment ma fille m’a donné envie de me replonger dans ces classiques. Finalement ces pages ont résonné comme l’indicible sentiment d’un vécu si prégnant que je ne pouvais m’exonérer d’une telle référence. Il est donc fort probable que ces auteurs m’aient silencieusement influencé dans le cadre de la relecture de mon manuscrit (la première version avait été écrite avant).

Éditions la Compagnie Littéraire : On constate une grande différence entre l’Inde et le Népal. Arrivé à Katmandou, notre héros est vivement et favorablement surpris pour plusieurs raisons. On ne s’attend effectivement pas à ce qu’il nous rapporte. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Yann Gontard : J’arrivais au Népal fatigué, usé, malade, agacé probablement aussi et j’allais illico replonger dans un pays réputé encore plus pauvre que l’Inde. Cela devenait une véritable épreuve, très loin d’un voyage d’agrément. Or mon arrivée dans ce petit pays perdu dans les montagnes de l’Himalaya offrait tout le confort de l’Europe à des prix cohérents avec mon budget. J’y ai vu l’héritage de quelques générations de beatniks qui s’étaient investis sur place en offrant un service ajusté et adapté à une clientèle européenne. Cependant, ne nous leurrons pas : le peuple népalais était très éloigné de ce niveau de vie et vivait dans des conditions particulièrement précaires… sans pourtant perdre leur bonhomie et leur gentillesse. Un petit paradis niché sur les toits du monde !

Éditions la Compagnie Littéraire Je voudrais revenir sur un moment bien particulier de votre récit : les 13, 14, 15 et 16 décembre 1989, vous faites l’expérience de quelques jours dans le désert du Thar, en compagnie de votre guide Bhawan. Nous sommes là devant une expérience mystique, une révélation. Vous écrivez : « Qu’allait être sa vie alors ? Brutalement tout s’effondrait avec l’espoir fou de mieux se reconstruire. Ce qu’il savait de son avenir instinctivement prenait un nouveau sens, un sens tout neuf qui s’accordait avec ce qu’ébahi, il venait de découvrir… il voulait être simplement reconnu en donnant plus qu’il ne recevait… » Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

Yann Gontard : Cette expérience effectivement mystique a donné sens à l’homme que j’allais devenir sur le plan des idées théologiques, de la construction intime de mes croyances et de mes pratiques. Cela relevait d’une démarche initiatique commencée au Moyen-Orient et qui trouvait, perdu entre les dunes du désert du Thar, un réel aboutissement. Je dois avouer qu’après autant d’années, cette construction intellectuelle, philosophique et spirituelle n’a pas significativement évolué malgré les nombreuses lectures et recherches que j’ai effectuées depuis. J’ai reçu la lumière et ai l’impression que la lumière jusqu’à aujourd’hui me protège.

Éditions la Compagnie Littéraire : On a bien l’impression qu’il y a un « avant » et un « après » ; vous déclarez d’ailleurs devenir un nouvel homme, et vous le formulez ainsi : « Il » devenait « je ». Il semble y avoir un rapport avec votre option d’auteur : avoir choisi un personnage narrateur qui parle de « Il »plutôt que d’attaquer votre récit de voyage à la première personne. Cela signifie-t-il que vous vous mettez dans la position d’un chercheur : recherche de soi-même, recherche de sens ?

Yann Gontard : J’étais, suis et resterai un éternel chercheur, un insatiable curieux de notre société, de ses évolutions, de ses égarements parfois, de la richesse humaine toujours, même si de nombreux contre-exemples existent à foison. Ce deuxième opus est l’aboutissement d’un équilibre sur le plan spirituel, cependant d’autres facettes de sa personnalité restent en jachère. Ce « je » n’est pas encore complet, mais il a progressé. Il est sur le chemin de sa vie, il se construit, mais la route est encore longue et incertaine. En cela, l’option que j’ai retenue fait sens, car il lui faut encore du temps. La suite le révélera…

La couverture du livre II : Son Asie en vérités

Éditions la Compagnie Littéraire : Il y a quelque chose de récurrent dans les petits maux et malaises dont est victime votre aventurier, ce sont des problèmes digestifs dus aux habitudes alimentaires des pays traversés mais aussi à un certain déséquilibre. Or, assez rapidement dans cette expérience du désert, les troubles cessent. Vous dites alors à propos de votre personnage : « Avec le vieil homme – son guide – il apprit la modération ». Et vous lui faites dire un peu plus loin que ce guide « lui a enseigné le silence ». Que pouvez-vous nous dire sur ces deux constats ?

Yann Gontard : Au cours de ce voyage, je n’ai guère connu que des soucis digestifs. Ce ne sera malheureusement pas fini et vous le constaterez par la suite. Avec trente ans de recul, je pense que son origine vient principalement d’un changement trop rapide et excessif de régimes alimentaires en passant d’un pays à un autre de cultures culinaires trop différentes… avec aussi, parfois, des abus suivis de sanctions. Dès que je me trouvais en situation de me nourrir sainement et modérément, ma flore intestinale se rétablissait. Cependant dans le cadre du texte que vous mentionnez, j’y vois surtout la récompense liée à un comportement sain autant sur le plan physique que sur le plan moral. La modération et la méditation dans un lieu d’apaisement – le désert – régénèrent rapidement l’homme ou la femme humble.

Éditions la Compagnie Littéraire : En avançant vers un enrichissement intellectuel et spirituel, on trouve souvent un apaisement et une amélioration de sa condition physique ; confirmez-vous cette théorie qui souligne que tout est fortement lié ?

Yann Gontard : Le drame de la religion catholique est d’avoir toujours cherché à séparer l’âme du corps, l’âme étant considérée comme immortelle alors que le corps voué aux tentations du mal n’est que le vil réceptacle de l’âme. En sus, Descartes considérait l’homme coupé en deux… A contrario, la tradition des religions ou philosophies orientales a toujours considéré le corps et l’âme comme faisant partie d’un tout. Accepter et connaître son corps, c’est probablement se donner les moyens de trouver un juste équilibre (yin & yang), de se mettre en cohérence avec soi, de déployer son énergie propre afin de laisser rejaillir la lumière qui est en chacun de nous.

Éditions la Compagnie Littéraire : Pour finir, Yann Gontard, la suite des pérégrinations de votre aventurier est déjà inscrite sur les routes de l’Asie du Sud-Est… Quelques mots sur ce projet ?

Yann Gontard : Après les deux premiers volets liés à l’évolution vers une maturité philosophique – voire théologique –, j’ai commencé à aborder, à la fin du présent livre, ma relation à la femme ou aux femmes. Le troisième volet abordera ce sujet dans le cadre d’un dépassement qui pourra sembler un excès à peine crédible et qui aboutirait, peut-être, a une situation raisonnable et à la magnifique expérience des sentiments justes et de l’amour profond ? À voir…

Commander Livre II : Son Asie en Vérités

Nous remercions Yann Gontard d’avoir répondu à cette interview signée Monique Rault. Le roman Journal d’un aventurier des temps modernes, Livre II : Son Asie en vérités est disponible sur Fnac.com, Amazon, Decitre, les librairies du réseau Place des librairies et Dilicom et plus généralement en commande dans toutes les librairies de France et de Navarre.

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